Dans
le rite catholique latin, la messe chrismale n'appartient
pas,
au
sens strict,
au triduum pascal. Si elle a lieu le plus souvent le Jeudi
Saint au matin, elle peut être transférée à un
autre jour, pourvu qu'elle soit proche de Pâques.
Beaucoup d'évêques, pour faciliter la participation
des fidèles et des prêtres, choisissent un soir
de l'un ou l'autre des jours saints, le lundi, le mardi ou
le mercredi.
Durant la messe chrismale, l'évêque consacre
le saint-chrème et bénit les autres huiles
saintes.
Dans les Eglises orientales, cette liturgie chrismale se
déroule, dans la plupart des rites, d'une manière
plus particulière encore. Il en est ainsi dans la
liturgie de l'Eglise Apostolique Arménienne, cette
consécration se fait tous les sept ans, uniquement
au siège du patriarcat à Etchmiadzin, par le
patriarche catholicos lui-même au cours d'une cérémonie
très riche de symboles et de signification spirituelle.
Nous vous invitons à lire et à méditer
l'ensemble des textes de cette messe chrismale en particulier
la préface : "Tu as voulu que son unique sacerdoce
demeure vivant dans l'Eglise." Il y est rappelé que
le sacerdoce des prêtres en est l'actualisation, c'est
pourquoi ce jour-là ils renouvellent leurs promesses
sacerdotales
"Cette liturgie tournée vers la vie interne,
vers le coeur de l'Eglise, rappelle que le coeur de l'Eglise
est traversé par le don que le Christ fait de
son Eglise au monde ... Passons le seuil et partons ! "
Au-delà de
ces rites, au travers de ces bénédictions,
une homélie de Mgr Albert Rouet, archevêque
de Poitiers, nous fait prendre conscience que nous sommes
consacrés, non pour nous replier sur nos problèmes
mais pour nous ouvrir au monde et lui donner la vie. |
Au coeur de l'Eglise, au coeur
de la vie
"On est au-delà des méthodes, des moyens,
ou des ajustements nécessaires, on est devant un problème
qui touche l'avenir de notre société dans lequel
l'avenir de notre Eglise est compris.
Je trouve grave pour ma part, je vous le dis peut-être
avec un brin de souffrance, que tant de travaux de synodes,
tant de soucis, de peines, de générosité même,
aient replié l'acteur apostolique sur des agencements
paroissiaux et des fonctionnements structurels. Certes, il
les faut, je n'ai pas envie d'en médire.
Mais l'Eglise n'existe pas d'abord pour eux ! Ne confondons
pas les moyens avec la fin. En commençant la messe,
j'ai dit en votre nom une oraison, mais écoutons-nous
les oraisons ? Je vous en relis la finale : "Puisque
tu nous a consacrés en Lui (le Christ), fais que nous
soyons pour le monde les témoins de l'Evangile de
Salut". D'un seul coup, au cœur d'une messe chrismale
qui concerne la vie chrétienne et les ministères
ordonnés tels que le Christ les a voulus en envoyant
ses apôtres, l'ouverture du Christ, l'Envoyé du
Père, nous contraint à regarder au-delà de
nos murs.
Par un paradoxe étonnant, nous sommes en quelque
sorte à front renversé ! Nous allons bénir
et consacrer les Saintes Huiles, actes liés à la
vie de l'Eglise dont je vais maintenant vous montrer la dimension
missionnaire. En même temps, notre Eglise consacre
beaucoup de temps à des synodes célébrés
en principe pour relancer la mission, mais qui s'achèvent
comme une recherche identitaire parce que tournés
vers la vie intérieure aux communautés.
***
La première bénédiction
vient sur l'huile des malades.
Nous sommes une société d'une technicité invraisemblable,
extraordinaire pour diagnostiquer les maladies, les prévenir
parfois et les guérir par des moyens dont on avait
pas même l'idée il y a vingt ans. Nous savons
soigner les gens et, jour après jour, nous découvrons
des prouesses que le corps médical est capable d'accomplir
et de perfectionner, ce progrès nous rend en même
temps de plus en plus exigeants, injustement exigeants au
point que, si un médecin qui n'est jamais qu'un artiste,
point infaillible se trompe un tant soit peu, il risque une
procédure dont on attend évidemment beaucoup
d'argent.
Nous savons soigner, savons nous guérir ? Je me souviens
d'une petite vieille que j'allais voir à l'hôpital
qui m'a dit : "Mon Père, je vais sortir demain,
qui viendra me voir après ?" Nous savons soigner
parce que nous avons une technique, des médicaments,
des instruments, des opérations extraordinairement
efficaces. Mais la guérison d'un malade suppose qu'il
soit réinséré dans le corps social.
Soigner, nous savons, guérir dépend non plus
des médecins, mais de la manière dont un malade
va être réintroduit dans le corps social qui
est le sien.
Pouvons-nous dire aujourd'hui que le Sida n'isole plus à cause
de la peur ? Que tel malade atteint d'un cancer dont tout
le monde sait qu'il ne s'agit pas d'une maladie transmissible,
ne connaît pas d'isolement, par la criante ancestrale
des graves affecitons. Ainsi cette femme : "Le jour
où j'ai dit à mon mari que j'avais un cancer,
il est parti !" Et ces personnes âgées,
dont on s'occupe admirablement, mais qui meurent à petit
feu, seules dans des maisons spécialisées.
Et c'est en premier l'échange qui meurt. La plus grande
plaie sociale n'est pas l'insécurité, mais
certainement la solitude.
Voilà que l'huile qui pénètre, qui
entre dans le corps de quelqu'un, nous allons la bénir.
Rappelez-vous l'épître de Saint Jacques : "Si
quelqu'un est malade, qu'il appelle les anciens de l'Eglise" (5,
14). Ce que demande cette prière pour les malades,
c'est que la communauté vienne entourer un membre
souffrant de son corps. Au départ du sacrement qui
oint des malades, c'est précisément pour ne
jamais laisser seul quelqu'un qui non seulement affronte
la mort, mais risque d'affronter la mort sociale avec la
solitude, le désespoir. La souffrance isole. il reste à franchir
cette barrière pour maintenir l'humanité de
cette situation dangereuse.
Bénir cette huile affirme publiquement que nous ne
laisserons jamais tomber l'un des nôtres. Que si l'âge
vient, que si la maladie tombe, que si l'handicap échoit,
cette personne jamais ne sera seule, car elle est un frère
et elle est une sœur.
Pour cette célébration, le "presbytérium" se
rassemble : cet événement rappelle à la
communauté sa responsabilité commune de ne
jamais abandonner, quel que soit son état, l'un des
siens. C'est redire au prêtre qu'il a charge non pas
d'abord de commander, mais d'engendrer de la fraternité.
Il redit à chacun des membres de sa communauté que
si un membre est oublié, la communauté est
blessée ; que si quelqu'un est abandonné, la
communauté ne répond pas à sa mission.
L'onction des malades affirme, contre la solitude et la souffrance,
contre l'isolement et la rupture la radicale fraternité du
corps que nous formons. L'évêque qui bénit
cette huile nous envoie comme ceux qui renversent les murs
de la solitude.
***
Ensuite nous allons bénir l'huile des catéchumènes.
La prière nous introduit dans cette liturgie du seuil à laquelle
les diacres sont tellement attachés. Belle liturgie
: quelqu'un frappe à votre porte, quelqu'un se présente
devant vous. Il a pu venir de lui-même, ou vous l'avez
hêlé, mais cette personne n'avancera que si
vous lui dites humblement d'entrer. Le seuil est même
un endroit que les anciens trouvaient dangereux. Cet endroit
très particulier possède une marche, une pierre.
Il y a une marque, on change de lieu. On peut toujours rater
son entrée ou sa sortie ! C'est pourquoi il est tellement
important de soutenir ce passage...
Voilà que nous allons bénir une huile qui
est destinée à ceux qui passent le seuil, à ceux
qui viennent nous rejoindre. Certains parmi vous ont fait
ce passage. Ils sont entrés et on été accueillis.
La prière pour bénir cette huile rappelle
la lutte, le combat, l'effort, parce qu'on ne devient pas
chrétiens comme on s'inscrit à une association.
On devient chrétien par conversion. Car l'appel entendu,
l'amour pressenti bouleversent la vie. Combat toujours actuel,
et combat public comme la liturgie.
Aujourd'hui, la lutte nous attend, nous qui bénissons
l'huile des catéchumènes. Curieusement, dans
notre pays (on peut pas dire partout pareil on en demande
pardon à ceux qui viennent de pays où les chrétiens
sont moins libres), nous sommes libres de parler de Dieu.
Mais honnêtement, frères, ce Dieu dont il est
abondamment questions, on en a fait n'importe quoi !
Vous ne serez jamais ennuyés, vous ne serez jamais
dénoncés, vous ne serez jamais incarcérés
pour une parole touchant Dieu. La liberté d'opinion
ne garantit ni de la banalisation ni de la satire cruelle.
Si bien qu'on attend de nous, une folklorique tgranquillité.
Comme disait Napoléon III : "Je préfère
payer un prêtre plutôt que deux gendarmes".
Il en attendait bien sûr le même résultat
!
Aujourd'hui, dans notre pays, le discours sur Dieu n'est
pas un discours dangereux. Ce n'est donc pas là que
se lèvera une lutte. Il reste à soutenir un
effort intellectuel d'exactitude, une lutte pour le respect
(de respect, je dis bien) des opinions des autres. Cette
déférence première envers les idées émises
repose sur une mutuelle confiance dans la recherche de la
vérité.
Or cette politesse intellectuelle, ce crédit d'estime
s'effirtent. Veillons à leur maintien, aussi dans
une église où la liberté de parole est
en train de geler. Ce n'est pas un signe de grandeur. Respect
de l'opinion des autres mais surtout respect de l'homme lui-même.
Aujourd'hui, l'endroit de la lutte porte sur l'homme, cette
seule image de Dieu que nous ayons.
La précarité continue, l'écart entre
ceux qui ont à peine de quoi vivre et ceux qui regorgent
de biens continue. Savez-vous que l'extrême de la fourchette
des salaires est de 1 à 77 ? Chiffre qui rappelle
quelque chose à une oreille évangélique....
Le combat que nous avons à mener aujourd'hui est pour
que l'homme soit homme. On l'abandonne à lui-même,
on en fait un yo-yo, selon la baisse ou l'augmentation de
la croissance. Jamais de telles variations au nom de la croissance
n'ont révélé combien l'homme n'a été aussi
méprisé !
On nous attend aujourd'hui comme chrétiens sur ces
questions. Au nom du Christ, que nous soyons les défenseurs
de la justice et de la dignité de chacun de nos frères
humains. Le seuil de l'humanité reste à franchir
chaque jour.
***
Enfin, nous allons consacrer
le Saint Chrême.
Chaque prêtre, comme pour une ordination, tirant de
lui-même ce qu'il a reçu, impose avec moi les
mains pour que son être même, passe dans l'huile
qui fera l'onction. Il n'y a pas d'huile sainte qui signifie
davantage le seuil. Le Saint Chrême, nous l'utilisons
quand quelqu'un passe le seuil du baptême devenant
enfant de Dieu.
Le Saint Chrême, nous le recevons comme quelqu'un
d'enfant qu'il est, même s'il est adulte extérieurement,
devient adulte dans la foi, envoyé par le Christ à la
confirmation. Le Saint Chrême, nous le recevons dans
nos mains et, consacrés par lui, nous devenons serviteurs
du peuple de Dieu comme prêtres.
Il a été versé sur ma tête pour
faire de moi un évêque de l'Eglise catholique,
membre du collège de ceux que le Christ a envoyés.
Les seuils : devenir chrétien, confirmé, prêtre
et évêque. On pourrait, bien entendu tenir le
Saint Chrême la consécration de la séparation,
c'est à dire faire de l'onction reçue un titre
de reconnaissance sociale, un titre de pouvoir avec l'argent
qui rôde toujours en ces zones. C'est curieux comme
le sacré a besoin de fonds et en tous les temps, on
rencontre cettre liaison. Il nous suffit d'avoir de quoi
vivre. Nous manquons d'un peu d'argent mais tellement d'autres
en manquent plus que nous.
Comme évêque, comme prêtres, comme chrétiens,
au moment où le Christ nous attache à lui,
parce qu'il est l'Envoyé du Père, nous lui
ressemblons le plus car il nous façonne selon son
envoi. Il nous tire de nous mêmes. Au moment où le
Christ nous fait adhérer à lui, il nous envoie,
sans rien, sans argent, sans manteau de rechange, les mains
nues et le cœur brûlant.
Le Saint Chrême nous consacre pour nous donner. A
l'inverse de beaucoup de religions où la consécration
constitue une mise à part pour monter sur un piédestal
social, voilà que le Saint Chrême nous enfouit
comme le sel ou le levain. Une semence en terre. Comme une
huile qui pénètre au cœur de l'être,
comme un homme jeté au cœur du monde. Mis à part,
consacrés pour l'évangile et pour rien d'autre.
Pas pour soi, pas pour ses idées. Il nous faut rejoindre
ceux dont la vie n'a plus de sens, et ceux dont la vie a
un autre sens pour que nous travaillions avec eux.
***
Cette liturgie paraissait tournée vers la vie interne
de l'Eglise. Et elle l'est, à condition de bien comprendre
l'Esprit qui anime la vie de l'Eglise. Cette liturgie tournée
vers la vie interne, vers le cœur de l'Eglise, rappelle
que le cœur de l'Eglise est traversé par le don
que le Christ fait de son Eglise au monde. Tel est l'endroit
où le Christ fait don des chrétiens aux autres
hommes.
Au moment où nous prenons conscience que nous sommes
consacrés, marqués par l'onction du Christ,
semblables à lui, nous découvrons que nous
n'avons pas d'autre raison, chacun d'entre nous baptisés,
confirmés, prêtres et évêques,
nous n'avons pas d'autre raison, comme le Christ, que de
donner notre vie. Passons le seuil et partons.
Mgr Albert Rouet.
Messe chrismale. 25 mars 2002 |