La vie quotidienne a repris son cours dans
Jérusalem,
mais de bouche à oreille, dans les ruelles et les
marchés, chacun commente la situation. Les uns savent
que, du côté des autorités, l'on apprécie
guère l'attitude de Jésus lors de son entrée à Jérusalem
et qu'on envisage même de l'éliminer d'une manière
ou d'une autre. D'autres sont des admirateurs inconditonnels
et cherchent à le rencontrer. Les disciples s'inquiètent
après avoir été heureux de ce triomphe.
Jésus garde son calme.
Par delà ces branches joyeuses qui l'avaient entouré,
il regardait vers son Père du ciel.
Au seuil de ces jours décisifs pour le salut des
hommes, le récit évangélique nous présente
Jésus en homme libre qui s'expose par sa parole et
ses actes. Au dire de saint Luc, il ne subit pas le cours
des événements mais il marche résolument
vers sa Pâques.
"Comme s'accomplissait le temps où il devait être
enlevé, il durcit son visage et prit résolument
le chemin de Jérusalem." (Lc 9,51) Le sens grec
du terme nous dit qu'il affermit sa décision. Ce ne
sont pas ses traits extérieurs qui deviennent sévères.
Au seuil de son dernier itinéraire terrestre, il est,
bien au contraire, toute tendresse, toute paix, toute compréhension
pour les gestes de Madeleine et le futur reniement de Pierre, à qui
il dira au soir du Jeudi-Saint en évoquant le chant
du coq : "Que votre coeur ne se trouble pas." (Jean
14. 1).
Sur ce chemin, depuis des semaines, il avait rencontré des
oppositions, qui se révéleront finalement mortelles
pour lui (Mt 21,12-16 ; 26,3). Il avait médité les
prophètes et il pouvait pressentir les risques qu'il
encourait, comme en témoigne cette apostrophe : "Jérusalem,
Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides
ceux qui te sont envoyés." (23,37 ; 21,35)
A quelques jours de son arrestation, il ne prend aucune
disposition fébrile. Il ne tente aucune démarche
auprès de gens importants. Jean pourrait l'aider,
lui qui a ses entrées chez Caïphe. Joseph d'Arimathie
ou Nicodème pourraient peut-être intervenir.
Au seuil de ces heures capitales, Jésus vient tranquillement
déjeuner avec des amis. Il accepte la joie du repas
que Marthe, Marie et Lazare font en son honneur afin de manifester
leur reconnaisance pour la résurrection de son ami.
Il ne fait aucun reproche devant la dépense exagérée
de Marie. Il accueille le don de cette femme qui, grâce à lui,
peut revivre dans la fierté retrouvée. Mais
il voit plus loin. Il sait la démarche qu'elle fera
au tombeau au lendemain de sa mort.
Il connaît les limites de chacun et ne leur en fait
aucun reproche. Il pourrait dénoncer le traitre aux
autres apôtres et même le supplier, lui qui l'avait
appelé, qui lui avait accordé la même
confiance qu'aux autres et dont il avait senti la fragilité,
les hésitations et les réticences. A ce moment
de la "bouchée de pain" qu'il offre à Judas,
selon le rite de la Pâque juive, les autres s'inquiètent
d'eux-mêmes, de leur fragilité, de leurs hésitations
:"Serait-ce moi, Seigneur ?"
Ce dernier repas avec eux, il l'avait désiré : "J'ai
désiré d'un grand désir manger cette
Pâque avec vous." "C'est pour cette
heure que je suis venu." (Jean 12. 27) C'est pourquoi,
la mort ne le surprend pas. Sa mort qui vient, cette mort
qu'il
accepte est la conséquence assumée de sa parole "Je
me dois à mon Père" (Luc 2. 49). L'affirmation "Il
fallait que le Fils de l'Homme fût livré" (Mt
16,21 ; 17,22 ; 20,18) est le noeud des récits
de la Passion.
Mais elle est dans sa pensée tout au long de ces
jours, comme elle l'est tout au long de sa vie, l'Évangile
en témoigne, même au Thabor. Il a choisi librement
d'en fait une donation joyeuse et non pas un destin implacable.
Il assume, librement, l'aspect inévitable du cours
des événements. Il conjugue la liberté divine
et la liberté humaine dans une relation vivante avec
celui qu'il appelle "Mon Père". Et c'est
là qu'est la paix joyeuse qu'il connaît à la
veille du Jeudi Saint.
Pour comprendre, à l'instar des disciples d'Emmaüs,
il faudra une intelligence renouvelée des Écritures
(Lc 24,32). La vie, la mort et la résurrection de
Jésus pourront alors trouver leur sens " selon
les Écritures ". Au repas de chez Lazare comme
au repas pascal il nous faut relire la vie de Jésus à la
lumière de l'amour comme nous devons le faire d'ailleurs
de nos vies, relues à la lumière de la foi.
Faire la volonté de Dieu, c'est se maintenir à l'écoute
dans cette relation vivante, c'est vivre en espérance
et ce jusque dans l'épreuve. Loin d'une soumission
aveugle à une autorité, l'écoute est
travail de discernement, relecture à la lumière
de la foi et de l'amour
Jésus en a vécu la certitude. "Quand
Judas fut sorti, Jésus déclara : "Maintenant
le Fils de l'Homme est glorifié et Dieu est glorifié en
Lui."
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